Wednesday, April 21, 2010

GEOPOLITIQUE TRANSSAHARIENNE DE L’ENERGIE Le jeu et l’enjeu ?


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GEOPOLITIQUE TRANSSAHARIENNE DE L’ENERGIE

Le jeu et l’enjeu ?

http://www.hoggar.org/index.php?option=com_docman&task=doc_download&gid=436&Itemid=28


Par Lagha CHEGROUCHE

Chercheur

· In Revue Géopolitique N°108, 2010

http://www.editionstechnip.com/F/revue_geopolitique_medias_pouvoirs_1693.asp

· In Revue de l’énergie N°593, 2010

http://www.editecom.com/index2.php?refRevue=RE

The geopolitics of energy exports from the trans-Saharan region are similar to the

Caspian ‘great game’ at the end of the last century. In North/West Africa as in

West/Central Asia, the question of control over hydrocarbon reserves and lines of access

to those reserves lies at the source of various conflicts. Rivalries are expressed through

open and complex conflicts in which powers confront one another over oil-rich zones

through proxy ethnic, religious or cultural groups, as dictated by the colossal economic

interests at stake. The increasing number of conflicts – the Niger Delta, Darfur, the

Azawak, etc. – is an illustration of this. The shock waves from this rivalry undermine

regional peace and security, as well as the security of international energy supplies. The

national oil companies and states of the region can but work around or through the

geopolitical rifts caused by local rivalries and extra-regional appetites. There is therefore

a need to understand the way in which the players in the trans-Saharan ‘great game’

interact with one another, and to identify the effects these interactions may have in the

field of energy, in terms of potential reserves and transport projects. The TSGP is

presented as an illustration of this geopolitical dynamic.

L. CHEGROUCHE 2010

GEOPOLITIQUE TRANSSAHARIENNE DE L’ENERGIE

Le jeu et l’enjeu ?

Par Lagha CHEGROUCHE

Chercheur

Lagha CHEGROUCHE est chercheur en Energie et Stratégie. Ingénieur et Docteur ès sciences

économiques. Il enseigne à l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne. Il collabore également

avec des institutions internationales, en qualité d’expert en énergie. Membre du comité

scientifique de l’Institut du Monde Arabe à Paris. Auteur de nombreuses publications relatives à

l’énergie, à la géopolitique et à la prospective.

La géopolitique de l’approvisionnent énergétique à partir de la région

transsaharienne1 rappelle celle de la Caspienne2 à la fin du siècle dernier.

Comme pour cette région au coeur de l’Asie, la question du « contrôle global des

réverses d’hydrocarbures et des voies d’accès3 » est la matrice de différents

conflits. La rivalité prend la forme de conflits ouverts et complexes où des

puissances s’affrontent sur des zones pétrolifères, par groupes ethniques,

cultuels et (ou) culturels interposés, au gré de colossaux intérêts économiques et

énergétiques. La multiplication des conflits comme dans le Delta de Niger, le

Darfour ou l’Azawak4 est en l’illustration. L’onde de choc de cette rivalité menace

au passage la paix régionale et la sécurité de l’approvisionnement international.

1 La région transsaharienne représente l’espace qui couvre l’Afrique du nord, le Sahara et le Sahel. Du Sahara à la rive

méditerranéenne pour les pays d’Afrique du nord : Algérie, Egypte, Libye, Maroc, Mauritanie, Tunisie. De la Mer rouge à

l’Atlantique pour les pays subsahariens : Mali, Niger, Nigeria, Soudan, Tchad.

2 Voir L. Chegrouche, “Stratégies caspiennes”, in Revue de l’énergie n°518, 2000.

3 Voir L. Chegrouche, “Rivalité de puissance et contrôle global de l’énergie”, in Géopolitique n°76, 20 01.

4 Azawak ou Azawagh est, au sens restreint, la région limitrophe située entre l´est du Mali et l´ouest du Niger, la partie

occidentale du Sahel. Azawak est la transcription nigérienne et Azawagh, celle du Mali. Certains géographes « latinisent »

le nom en « Azawad ». L’Azawak est d’abord une grande vallée fossile entre l’Aïr et l’Adrar des Ifoghas. C’est aussi, au

sens large, toute la zone nomade qui commence au nord de la zone de cultures sous pluie (à partir du 15° lat. nord) et qui

se poursuit jusqu’en plein Sahara, selon Edmond BERNUS (in Encyclopédie berbère, Unesco 1990). Les Touaregs utilisent

plutôt le mot « Azawagh » dans un sens particulier pour désigner une zone géographique et climatique bien distincte, leur

« espace vital », qui constitue une bande allant de la Mer rouge à l’Océan atlantique et située entre le Sahara et le « pays

L. CHEGROUCHE 2010

Il est question d’appréhender le jeu et l’enjeu de cet échiquier transsaharien, de

cerner ses principales caractéristiques et ses effets énergétiques. Les

compagnies pétrolières locales et les pays de la région inscrivent leur action

autour et le long des fractures géopolitiques induites par des rivalités locales et

des convoitises internationales. L’issue de ce jeu n’implique pas forcément un

équilibre stable et durable pour la région, car les intérêts énergétiques et les

enjeux stratégiques sont conflictuels. Les menaces qui pèsent sur cette région

seront identifiées et leur crédibilité appréciée. Il est aussi nécessaire d’évaluer

ces enjeux pour les principaux pays de la région et d’analyser leurs

conséquences sur l’approvisionnement international, en termes de potentiel de

réserves et de projets de transport. Le projet de gazoduc, le « Transsaharien1 »,

est présenté en guise d’illustration de cette géopolitique transsaharienne.

1. Le jeu transsaharien, les acteurs

Depuis quelques années, nous observons un regain d’intérêt et une flambée de

données sur le potentiel d’hydrocarbures de la région. Les statistiques ne

révèlent ni les conditions de formation des bassins sédimentaires, ni l’étendue

des plateaux et, encore moins, les caractéristiques géologiques des structures

pétrolifères. Ce sont souvent les mêmes « sources d’information2 » qui sont

reprises par les uns et les autres pour proposer un « seuil » de réserves ou pour

justifier l’opportunité d’un projet d’exploitation ou de transport. Si la région

transsaharienne soulève autant de convoitises et si elle est devenue un important

noeud du jeu international, c’est essentiellement, pour ne pas dire, à cause de

son potentiel pétrolier et gazier qu’elle recèlerait et de sa proximité des marchés :

l’Europe, l’Amérique. Le jeu d’acteurs autour de la question du contrôle des

ressources et des voies d’accès se déroule globalement en deux séquences.

o La première est celle des enjeux liés à la prospection et à la production

des hydrocarbures sous-marine et sur terre dans le Sahara, le Sahel, le

Delta du Niger, le Golfe de Guinée. L’octroi de nombreux titres miniers3 en

est le premier enjeu.

o La seconde est celle des voies d’accès (voir fig.1), port d’expédition et

tracés des tuyaux, qui achemineront les hydrocarbures, hors de cette

région, vers les marchés cibles d’Europe et d’Amérique : Golfe de Guinée,

Greenstream4, Transsaharien (TSGP5).

soudanais », c’est-à-dire l’Afrique noire par opposition à l’Afrique blanche (maure et touareg). Chez les Touareg,

« Azawagh » est donc le « Sahel », Dans la langue arabe, le Sahel signifie « plage » en prenant le Sahara pour « mer ».

1 Trans-Saharan Gas Pipeline (TSGP). Un projet de gazoduc reliant le Nigeria à l’Europe, via le Niger et l’Algérie.

2 Les sources d’information sont souvent celles des compagnies pétrolières locales (des pays de la région) ou celles des

compagnies internationales qui opèrent dans la région. Les données sur « le potentiel de réserves » de ces opérateurs sont

corroborées par des relevés d’exploration avec (ou sans) forage. Les data-bases sont périodiquement mis à jour c’est-àdire,

une évaluation par mission confiée à des compagnies spécialisées qui dépendent de ces opérateurs. Toutefois, le

potentiel de réserves reste faiblement évalué, en raison du manque de campagnes de forage d’exploration.

3 Depuis 2005, plus de 250 titres d’exploration ont été conclus, après des appels d’offres, principalement dans des pays

comme l’Algérie, la Libye, l’Egypte, le Nigeria et le Soudan, selon les compagnies pétrolières de la région.

4 Un gazoduc reliant la Libye à la Sicile, long de 520 Km, en offshore. Sa capacité est de 8 Gm3 et son coût de réalisation

de 5 milliards de dollars US. Le gaz provient des champs de Wafa à terre et de Bahr Es-Salaam à 110 km de la côte

libyenne.

5 Trans-Saharan Gas Pipeline, appelé également « Transalia » ou « Nigal ».

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Fig.1. Les voies d’accès

Source : Le Monde diplomatique

La compétition pour le contrôle des ressources de la région et des voies d’accès

implique principalement deux catégories d’acteurs : les entreprises, les Etats.

1.1 - Le jeu des entreprises

Le jeu des entreprises met en « compétition » des compagnies pétrolières

locales1 et des compagnies internationales, directement ou en association,

autour des titres miniers ou des accords de production. La multiplication

des partenariats d’exploration et des accords de partage de production en

est la conséquence. La question de délimitation des périmètres des

concessions pétrolières ou des frontières entre certains pays de la région

pourrait faire voler en éclat une partie de ces partenariats. La menace est

suffisamment crédible pour les contrats attribués dans des zones à risque

1 Les compagnies nationales des pays pétroliers comme Sonatrach (Algérie), NNPC (Nigeria), NOC (Libye).

L. CHEGROUCHE 2010

ou à conflit persistant (Delta de Niger, Darfour, Azawak), ou dans des

périmètres miniers contestés en raison d’un litige sur les tracés frontaliers

entre puissances (Golfe de Gabès, Golfe de Guinée).

Les stratégies de risque de certaines compagnies pétrolières favorisent

plus spécialement la segmentation du domaine minier de la région, puis

elles procèdent à la sélection des projets les plus rentables, au détriment

d’un « mix » de permis d’exploration ayant pour vocation la « préservation

des ressources énergétiques1 », gage d’une éventuelle perspective de

développement durable. L’investissement des compagnies internationales,

malgré leur imposante taille critique, va d’abord aux bassins pétrolifères

les plus probables et aux projets de transports les plus rentables. D’autres

tentent des « partenariats » agrémentés par un jeu d’intermédiation pour le

moins non-transparent à défaut, elles prennent davantage de risque.

En effet, ce sont des compagnies pétrolières comme Shell, Total, BP, Eni,

Statoil, qui s’impliquent dans des partenariats d’exploration et (ou) de

production avec une préférence pour les bassins prometteurs, sans risque

majeur, celui de l’absence d’une accumulation d’hydrocarbures, comme

pour le bassin d’Ahnet2 en Algérie, le bassin de Ghadamès3 en Libye ou le

Delta de Niger au Nigéria. Nombreux sont aussi les « partenariats »

agrémentés qui ont profité à des compagnies locales ou internationales,

avec un effet exponentiel pour leur taille d’entreprise, comme dans le cas

du joint-venture d’Anadarko à Berkine4 en Algérie, de Hellenic Petroleum

dans le Golfe de Sirte en Libye ou de Sinopec au Soudan. D’autres

compagnies prennent par contre plus de risque dans les zones de conflit

comme dans le Darfour, l’Azawak ou le Sahara occidental. Pour le

transport du gaz naturel, la stratégie de risque des compagnies est

presque similaire, avec évidemment en plus la contrainte de sécurité des

infrastructures, que ce soit pour le contrôle des terminaux d’expédition de

GNL au Nigéria ou des gazoducs déjà opérationnels ou en projet :

Greenstream, Medgaz5, Galsi6, TSGP.

1 Un affichage de « politique pétrolière »de la part des pays de la région sans aucun cadre légal ou réglementaire régissant

le « gap » et le « rythme » d’exploitation des ressources énergétiques comme c’est le cas de la Norvège. Cependant, des

mesures réglementaires contre le brulage « à la torche » du gaz sont prises dans ces pays et surtout suivies d’effets.

2 En 2009, Sonatrach et Alnaft ont proposé 10 périmètres d’exploration à la concurrence : 4 dans le bassin de Berkine, 1

dans le bassin d’Amguid-Messaoud, 3 dans le bassin d’Illizi, 2 au Sud-Ouest (Djebel Heirane, Ahnet). La particularité est

que le périmètre d’Ahnet est remis aux enchères : un bloc très convoité par certaines compagnies internationales, offert lors

de l’appel d’offres de 2008 sous « la condition de l’échange d’actifs ». Par ailleurs, dans la quasi-totalité des périmètres

proposés, des découvertes d’hydrocarbures ont été déjà enregistrées. Ce qui explique l’engouement de ces opérateurs

pour le domaine algérien : 50 compagnies sur les 74 pré-qualifiées ont participé à la présentation technique de cet appel

d’offre de 2009, notamment Exxon Mobil, Shell, Total, BP, Repsol, Cepsa, Gazprom, Lukoil, BG, Statoil, GDF Suez.

3 En 2005, la procédure d'octroi des permis d’exploration en Libye a attiré 120 compagnies, dont 63 ont été pré-qualifiés.

Sur les 15 permis d'exploration mis aux enchères, Amerada Hess a remporté un. Occidental Petroleum décroche 9 permis,

certains en partenariat avec Liwa des Emirats et d'autres en association avec Woodside Petroleum. Les autres compagnies

retenues sont Petrobras, Indian Oil, Oil Search d’Australie, Verenex Energy de Canada et Sonatrach. La majorité de ces

permis d’exploration ont abouti à des découvertes commerciales.

4 Selon la presse algérienne : Liberté, El Watan (2005-2009).

5 Un gazoduc reliant Béni Saf en Algérie à Almeria en Espagne, long de 210 km, en offshore. Sa capacité est de 8 Gm3 et

son coût de réalisation de 1 milliard de dollars US. Il entrera en service fin 2009. Sa capacité devrait doubler. Le consortium

est composé de 5 compagnies : Sonatrach (36%), Cepsa (20%), Iberdrola (20%), Endesa (12%), GDF Suez (12%). Le

projet est probablement appelé à relier le TSGP.

6 Un projet de gazoduc reliant El Kala en Algérie à Cagliari en Sardaigne, long de 310 Km, en offshore. Sa capacité est de

8 Gm3 et son coût de réalisation de 2 milliards de dollars US. Sa mise en service est prévue pour 2013. Le projet est

destiné d’abord à évacuer les excédents d’exportation de Sonatrach et des productions des compagnies internationales qui

opèrent en Algérie. La capacité du gazoduc pourrait atteindre 16 Gm3 en 2015. Le Galsi est inscrit comme « projet d'intérêt

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1.2 - Le jeu des Etats

Le jeu des Etats concerne les puissances locales et les puissances

internationales. Les stratégies d’Etat prolongent souvent celles de leurs

entreprises, le jeu des compétiteurs de la première séquence. La rivalité

porte sur les corridors de transport, en termes de tracés et de droits de

transit. La sécurité des infrastructures et des approvisionnements constitue

une autre dimension de cette compétition. La réduction des coûts, la

sécurisation des corridors et l’assurance du risque sont les points critiques

de cet échiquier transsaharien. Dans ce jeu d’Etats, les acteurs sont :

i - Les puissances locales

Les puissances locales sont les puissances publiques des pays d’Afrique

du nord (Algérie, Egypte, Libye, Maroc, Mauritanie, Tunisie) et des pays

subsahariens (Mali, Niger, Nigeria, Soudan, Tchad). Les acteurs les plus

pertinents dans ce groupe sont les pays comme l’Algérie, l’Egypte1, la

Libye et le Nigeria. Ils sont d’abord des fournisseurs d’excédent d’énergie.

Ensuite, ils ont presque la même taille économique et une capacité de

manoeuvre similaire. La stratégie de ces pays n’est pas forcément

homogène et leurs alliances sont plutôt différenciées c’est-à-dire, ils

n’offrent aucune perspective de « cartellisation » ou d’entente stratégique,

malgré la qualité de membre de l’OPEP pour trois pays de ce groupe :

Algérie, Libye, Nigeria. Cependant, la stratégie de chacun de ces pays est

en définitive celle d’un producteur qui cherche à valoriser ses ressources

énergétiques sur le marché international, sans stratégie d’intégration

« aval2 ». Le jeu de ce groupe fait apparaître une forte tendance au

partenariat avec les compagnies internationales : plus de 250 contrats

d’exploration ont été conclus depuis 2005, dont plusieurs ont permis des

découvertes commerciales, par exemple en Algérie (Berkine, Ahnet), en

Libye (Ghadamès, Sirte), au Nigeria (Delta de Niger). Les autres pays

comme le Niger, le Soudan ou le Tchad disposent certes d’un fort

potentiel de réserves mais, le risque géopolitique demeure élevé.

Par ailleurs, la situation dans la majorité des pays de la région induit des

« alliances » régionales ou internationales qui aggravent le risque

géopolitique. Elles sont susceptibles de perturber la stabilité régionale et

la sécurité des approvisionnements. La crise du Darfour n’est qu’un

échantillon parmi tant d’autres, qui traduit la complexité de cette rivalité

dont les populations locales paient la facture. La sélectivité de

l’investissement direct étranger et la politisation de l’aide au

développement est une thérapie aussi nocive que les appels des sirènes

prioritaire » par la Commission européenne. La société d’étude est composée de Sonatrach, Enel, Wintersall, Eos Energia

et Edison. Sonatrach détient 36%. Le projet est probablement appelé à relier le TSGP.

1 L’Egypte est un pays pertinent par son potentiel d’hydrocarbures, de plus en plus croissant mais sa « politique africaine »

est davantage dictée par une géopolitique du Nil et de ses ressources en eau (voir infra).

2 La tentative de recomposition du capital de la société Medgaz au profit de Sonatrach (36%) a suscité une forte

controverse en Espagne et à la Commission européenne, qui porte sur le « risque d’abus » de position dominante et

« l’exigence » de diversification des sources d’approvisionnement. Par ailleurs, l’Algérie réclame la « réciprocité », en

raison de l’ouverture de son amont pétrolier aux compagnies européennes comme Cepsa, GDF Suez, Statoil.

L. CHEGROUCHE 2010

de la sécurisation qui trainent la région vers plus d’armement, au mépris

d’un développement durable. Dans ce contexte géopolitique de plus en

plus complexe, certains pays de la région tentent de s’associer ou de

jouer un rôle transsaharien d’intermédiation et de coopération : l’Algérie, le

Nigeria et la Libye.

Fig.2. Géopolitique de l’Azawak

Source : Le Monde diplomatique

L’Algérie

L’Algérie est membre du groupe « NEPAD1 », un partenariat africain

soutenu par les Nations-Unis, le G8 et l’Union européenne. Une des

propositions de ce partenariat est le « Transsaharien » qui doit relier le

Nigeria et l’Europe, via l’Algérie et le Niger. Le pays dispose d’une

expérience de sécurisation et de gestion des infrastructures pétrolières et

gazières. L’Algérie semble aussi se positionner comme un « pays de

transit » en acceptant de s’associer avec le Nigeria dans le projet TSGP.

Une « stratégie de partage de rôle2 » qui a été initiée par les Etats-Unis

dans la Caspienne pour les exportations d’Azerbaïdjan et du

Turkménistan, via la Géorgie et la Turquie :

o Le Nigeria, un exportateur de gaz naturel.

1 NEPAD (New Partnership for Africa's Development) s’article essentiellement autour de trois grands projets : le gazoduc

TSGP, la route transsaharienne « Alger-Lagos » qui traverse le Mali, la liaison par fibre optique entre le Nigeria et l'Algérie.

2 Voir L. Chegrouche, “La Caspienne, richesses convoitées”, in Questions internationale, Documentation française, n°14,

2005.

L. CHEGROUCHE 2010

o L’Algérie, un pays de transit, une future « plaque tournante1 » pour

le gaz transsaharien (Delta du Niger, Azawak) à l’instar de la

Turquie2 pour le potentiel caspien, avec une différence que ce pays

altaïque n’a pas de ressources gazières.

o L’Europe, confinée dans un rôle d’importateur d’énergie.

L’intérêt stratégique pour l’Algérie est le positionnement de Sonatrach en

amont du TSGP, par une prise de participation dans les gisements du

Delta du Niger. A défaut, il reste la possibilité pour cette compagnie de

développer un réseau de collecte de gaz à partir de certains de ses

gisements dans l’erg occidental, le long du tracé du projet transsaharien et

de prélever un droit de transit. La perspective de mise en exploitation des

gisements d’In Salah et d’Ahnet renforce aussi la crédibilité du TSGP.

Par ailleurs, ce pays est toujours « facilitateur » ou « médiateur3 » dans

toute tractation entre les Touaregs4 et les pays limitrophes : Niger, Mali

(voir fig.2). En 2009, le pays s’est engagé pour la première fois dans

« l’assistance militaire5 » au Mali, pour faire face aux « groupes armés6 »

implantés dans l’Azawak malien. L’Algérie a également accepté de

participer à des « manoeuvres militaires7 » conjointes avec d'autres pays

voisins dans la région : le Mali, le Niger et la Mauritanie. Ces faits révèlent

peut-être, soit une « initiative » qui vise la sécurisation des frontières dans

un cadre transsaharien (bilatéral ou multilatéral), un signal d’autonomie et

de refus de l’United States Africa Command (voir infra. “Puissances

internationales”), soit un « nouveau format » de politique étrangère qui

contribue à un effort international multilatéral de sécurisation de la région.

Si c’est le cas, le format de sécurisation participera au contrôle global de

l’énergie et des voies d’accès.

1 Oxford Business Group postule également pour cette perspective de « plaque tournante » sans préciser sa crédibilité, ni

sa faisabilité et encore moins, ses enjeux pour l’Algérie (voir OBG “Du rêve à la réalité, Algeria, volume 128, 2009”). Une

Note qui prolonge les conclusions euphoriques de son “The report, emerging Algeria 2008” sur l’énergie dans ce pays.

2 La Turquie n’a pas de ressources d’hydrocarbures pour « concurrencer » des producteurs comme l’Azerbaïdjan, le

Turkménistan ou la Russie. Ces pays développent des systèmes de transport automnes, une perspective de diversification

des routes pour l’Europe : Nabucco pour les pays caspiens, South-Stream pour la Russie. Pour plus de précisions à ce

sujet voir L. Chegrouche, “La Turquie, un détroit d’Ormuz dans la stratégie US”, in Revue de l’énergie, n°547, 2003.

3 L’Algérie a parrainé les « Accords d’Alger » entre le Niger et les Touaregs. Elle accueille sur son territoire 30 000 refugiés

nigériens. Le pays a servi également d’intermédiaire dans le conflit entre le Mali et les Touaregs. Ce rôle prend une

nouvelle dimension, celle de l’assistance militaire au gouvernement du Mali, selon Liberté et El Watan, 2009.

4 Les Touaregs constituent une branche du vaste ensemble berbérophone qui peuple l'Afrique du Nord et une partie du

Sahel (Azawak). Leur nombre est estimé à 2 millions au moins pour la population nomade. Leur zone de peuplement

traditionnelle s'étend sur près de 2,5 millions de km2. Ils se répartissent de façon très inégale entre plusieurs pays : Algérie,

Libye, Niger, Mali, Mauritanie, Burkina Faso. La décolonisation signifie pour les Touaregs la persistance des rapports de

domination puisque, dans des pays comme le Niger et le Mali, le contrôle du pouvoir revient à des ethnies sédentaires

africaines. Un antagonisme accentué par la centralisation des pouvoirs. Une situation qui va conduire les Touaregs à vivre

dans un cadre frontalier transnational, sans statut. S'estimant marginaliser, les Touaregs refusent de devenir des citoyens

sans avenir et déclenchent une lutte armée en 1961 au Niger et au Mali, tentative rapidement résorbée. En 1990, la

sécheresse et la marginalisation politique les conduisent à reprendre les armes dans ces pays. Ces soulèvements sont

durement réprimés. Si le Niger connait une relative accalmie, le Mali vit encore dans une violence de plus en plus

transnationale, sans que les revendications des Touaregs trouvent une issue pacifique (voir fig. Géopolitique de l’Azawak).

5 L’Algérie a fourni divers matériels militaires au Mali, selon l’AFP, El Watan, 2009.

6 Le Mali affirme que de tels « groupes armés » sont ceux qui ont fait allégeance à « Al-Qaïda ». Cependant, nombreux

sont les groupes ethniques, cultuels et (ou) culturels qui sont accusés de « groupes armées » ou encore de « terrorisme »,

juste pour masquer un « mouvement de désobéissance » qui prône une « la lutte armée » contre le pouvoir au Mali. La

révolte des Touaregs dans l’Azawak malien et nigérien, est un exemple cette dérive, (voir supra). Néanmoins, « le

terrorisme » a trouvé « refuge » dans des « zones inaccessibles » du vaste ensemble sahélo-saharien », un repli sans

envergure selon de nombreuses sources, y compris « Magharebia » de United States Africa Command (Africom).

7 Selon l’AFP et El Watan, 2009.

L. CHEGROUCHE 2010

Le Nigeria

Le Nigeria est un important pays pétrolier de tradition commerciale tournée

vers le monde anglo-saxon. Les Etats-Unis soutiennent puissamment ce

pays, en raison de sa forte position pétrolière dans le Golfe de Guinée et

de sa préférence pour les exportations de GNL et de pétrole vers le

marché américain. En plus, le Nigeria a accordé de nombreuses facilités

militaires aux Etats-Unis dans le cadre de sa « guerre globale». L’Europe

semble être « hors compétition », malgré la taille et la pertinence de

certaines compagnies pétrolières, comme BP, Total ou Eni, qui sont

fortement implantés dans ce pays et jouissent d’une certaine influence.

Cependant, le Nigeria est confronté à de nombreux défis notamment dans

le conflit du Delta du Niger. Une région qui concentre les principaux

gisements d’hydrocarbures du pays, exploités par la compagnie nigériane

NNPC et quelques compagnies américaines et européennes (voir fig.3).

Le Delta du Niger connaît en effet un conflit sans cesse violent. Une

contestation d’obédience ethnique et cultuelle qui a toujours revendiqué un

partage équitable des revenus pétroliers. Elle s’est distinguée à maintes

reprises, par le « sabotage d’oléoducs » et la « prise d’otages » comme un

« moyen » d’appuyer ses exigences politiques et économiques.

Fig.3. Le Delta de Niger

Source : Chegrouche, in Med Energie, n°30, 2009

L. CHEGROUCHE 2010

Le nord du pays est également soumis à des fortes tensions sociales et de

conflits armés, en raison de l’état de délabrement du cadre de vie, une

adversité croissante exploitée par des « illuminati » de Boko Haram1.

La Libye

La Libye tente de s’insérer dans le jeu transsaharien par le biais de son

« intermédiation » entre le Niger et les Touaregs, le Tchad et ses

« révoltes » ou le Soudan et les « rebelles » du Darfour. Une politique

africaine « active » qui se fonde sur des projets économiques.

Nombreuses sont d’abord les connexions tribales entre Tripoli et les

populations de l’Azawak, au sens du Sahel (voir fig.2), comme l’illustre la

conférence périodique libyenne sur le Sahara et le Sahel, dont les enjeux

géopolitiques et énergétiques sont considérables. Ensuite, la « Fondation

Kadhafi » sert de « pompe à finances » pour cette politique libyenne.

Depuis 2005, elle a investi plus de 5 milliards US $ dans cette région. Une

« politique d’aide » aux entreprises africaines et aux communautés

locales, sous forme de « prêts à taux zéro2 », qui a permis de renforcer le

rôle transsaharien et africain de la Libye. Enfin, le pays revendique même

un « leadership » régional sur l’Azawak (le Sahel), notamment après son

rapprochement avec les Etats-Unis et l’Italie. Le gazoduc Greenstream,

destiné à l’approvisionnement gazier de l’Italie, serait vraisemblablement le

premier tronçon d’un système transsaharien de transport du gaz naturel

vers l’Europe, capable de rivaliser avec le TSGP. Dans cette perspective,

le Greenstream prendrait source au Tchad et au Darfour, en raison de leur

potentiel de réserves en gaz naturel.

L’Egypte

L’Egypte est un pays pertinent par son potentiel d’hydrocarbures, récent

mais de plus en plus croissant. Sa « politique africaine » est davantage

dictée par une géopolitique du Nil et ses enjeux liés à la répartition des

ressources en eau. Le pays tente de « contenir » les multiples tentatives

de remise en cause des quotas d’eau, déjà prévus par les Traités de 1929

et de 1959. La conférence d’Alexandrie des pays de l’Initiative du Bassin

du Nil (IBN) en 2009, a montré les limites de l’action africaine de l’Egypte.

Un pays « contraint », sous un poids démographique pesant, une pauvreté

sans cesse croissante, une gouvernance économique « satellitaire ». Des

nombreuses contraintes économiques et géopolitiques entravent l’action

de ce pays notamment dans l’énergie.

Dans le contexte de cette géopolitique du Nil, les pays de l’IBN (Egypte,

Burundi, Ethiopie, Kenya, Rwanda, Tanzanie, Soudan, Ouganda, Congo)

ne parvenaient pas depuis 1999, à se mettre d’accord sur la création d’un

« organisme chargé de la gestion commune des eaux » du Nil. Par

ailleurs, les préoccupations de l’Egypte sont dictées par des enjeux

moyen-orientaux et méditerranéens (UPM). L’illusion d’une intermédiation

1 Boko Haram est fondé en 2004, à Maiduguri, la capitale de l'Etat de Borno mais l’influence de cette « secte » s’étend à la

majorité des Etats du nord du pays.

2 Selon la Fondation Kadhafi et Le Journal de la finance africaine, 2009.

L. CHEGROUCHE 2010

entre « Orient » et « Occident », un « dogme » de la politique égyptienne,

conduit ce pays à des rivalités ou des tensions avec des puissances

comme la Turquie, l’Iran, la Syrie ou l’Algérie. Le rôle de l’Egypte est plus

que controversé. Dans la région transsaharienne, il reste « mineur » par

rapport à celui de la Libye ou de l’Algérie, malgré sa géographie et sa

participation au « commandement militaire» de l’Union africaine.

ii - Les puissances internationales

Le second groupe implique des acteurs internationaux (Etats-Unis,

Europe, Chine) dans un jeu énergétique aussi ouvert que problématique

pour le devenir de la région. La compétition et le partenariat sont certes

nécessaires pour la mise en exploitation de son potentiel de réserves

mais, l’effort d’investissement nécessaire dépasse largement les

capacités financières propres des pays de la région : un effort

supplémentaire de 150 milliards US $ pour les cinq prochaines années. Le

TSGP nécessite à lui seul 10 milliards US $ pour sa construction. Aucun

pays de la région n’est en mesure de supporter un tel rythme

d’investissement, sauf de laisser les populations locales dans l’adversité

économique et sociale et de persévérer dans des choix d’extraversion.

L’investissement direct étranger demeure faible, soit 25 milliards US $ en

2008 pour tous les pays de la région. Il est capté en priorité par les

activités exportatrices, compte tenu de la faiblesse des coûts salariaux et

des facilités de rapatriement des profits des compagnies.

Tout indique donc que la prééminence des puissances va aux stratégies

de contrôle global des ressources et des voies d’accès, avec une forte

propension à la militarisation de la région : Africom1, prolifération des

conflits armés, surenchère d’armement, croissance des budgets militaires.

En 2008, les pays d’Afrique du nord ont dépensé au titre de leurs budgets

militaires 15 milliards US $. La dépense militaire2 a atteint 2-5% du PIB de

chacun des principaux pays de la région. Elle représente donc 1000 US

$/capita, soit l’équivalent d’un salaire minimum annuel par habitant3. Le

paradoxe de ce jeu de puissances est lié à l’appréhension de ce

« besoin » de sécurisation des territoires et des ressources. Il génère une

demande d’armement pour les fournisseurs d’énergie et un besoin

d’énergie pour les fournisseurs d’armement c’est-à-dire, de la part de

certaines puissances internationales fortement impliquées dans la région.

Les Etats-Unis

Dans ce jeu d’acteurs, il n’y a pas de stratégie de groupe dont les

puissances internationales agissent d’une manière homogène ou

1 United States Africa Command, dont l'acronyme est US Africom. Un commandement destiné à coordonner toutes les

activités militaires et sécuritaires des Etats-Unis en Afrique.

2 Selon les estimations de certains instituts européens spécialisés dans les questions de défense et de stratégie. Pour la

dépense militaire, US Forecast International indique aussi que le Maroc a consacré 5% de son PIB, suivi par la Libye

(4,9%), l’Algérie (4,3%), l’Egypte (3,5%), la Tunisie (2,1%), la Mauritanie (1,5%), le Niger (1,2%), le Mali (1,1%).

3 Le BIT indique que le salaire minimum légal, en équivalent US Dollars, est de 80-120 US $/mois en 2008, selon le pays.

L’Afrique du nord compte 150 millions d’habitants.

L. CHEGROUCHE 2010

collusoire. Cependant, la stratégie d’acteurs la plus pertinente est celle

des Etats-Unis, parce qu’elle combine toutes les séquences de jeu. Cette

stratégie se déroule selon une logique de partage de rôle. Au centre de ce

jeu transsaharien, se positionnent les compétiteurs américains de la

première séquence, les compagnies pétrolières comme en Algérie, en

Libye ou au Nigeria. Par contre, la périphérie réintroduit des puissances

locales dites « amies1 ». Les Etats-Unis assurent la cohérence stratégique

et l’articulation opérationnelle, par une coordination multilatérale.

L’Africom n’est que la version sécuritaire de l’aboutissement d’une série

de partenariats économiques et d’accords militaires initiés par les Etats-

Unis en Afrique du nord et dans le Sahel, depuis 1995. La montée en

puissance des ces partenariats coïncide avec l’augmentation des réserves

prouvées pétrolières et gazières de la région (voir infra : Tab.1 & 2. sur

l’évolution des réserves prouvées). Les compagnies américaines et les

puissances « amies » exécutent chacune de son côté, la séquence qu’il

faut, en dépit de l’autonomie de jeu propre à chaque acteur. La stratégie

américaine sert évidemment ses intérêts énergétiques et stratégiques. La

région contribue déjà pour 10% à l’approvisionnement des Etats-Unis.

Cette part devrait atteindre 25% en 2020, en raison notamment du

potentiel de réserves d’Afrique du nord et du Nigeria. Les Etats-Unis

s’invitent donc dans la région par l’Africom2 et les convoitises pétrolières.

Ils sont en rivalité avec les autres puissances. L’enjeu est probablement le

contrôle global des richesses énergétiques de la région et ce, quelle que

soit la couleur de l’administration US.

L’Europe

L’Union européenne n’a pas de « stratégie de puissance » parce que cette

vocation est plutôt assumée par certains Etats-membres comme la France

et la Grande Bretagne. L’Europe se confine plutôt dans un rôle de

coopération économique et d’assistance humanitaire, malgré la forte

présence des compagnies comme BP, Shell, Total, Eni ou Statoil. En effet,

la Grande Bretagne est l’ancienne puissance coloniale du Nigeria. Les

compagnies britanniques ont une forte influence économique dans ce

pays. BP et Shell sont propriétaires d’importants gisements et de

nombreux d’oléoducs. La France dispose également d’importants moyens

économiques et militaires dans la région transsaharienne (voir fig.4). Elle

est perçue comme un facteur de coopération dans la région, notamment

par les Touaregs de l’Azawak.

1 In « Géopolitique, les voies de la puissance, Plon, 1990 », le général Pierre Gallois distingue « puissance alliée » et

« puissance amie », en fonction notamment du degré d’intégration des commandements. Le seuil de « loyauté » étant la

coopération militaire technique et l’échange des facilités tactiques. Les puissances « amies » s’échangent les facilités

tactiques. Cependant, face à l’inégalité des moyens économiques et militaires, l’échange ne peut être qu’inégal donc, au

profit des puissances internationales et au détriment des puissances locales.

2 La stratégie des Etats-Unis se décline dans la région par la présence de la sixième flotte, la multiplication d’exercices

conjoints et la formation dans le cadre de l’International Military Education and Training Program.

L. CHEGROUCHE 2010

Fig.4. Les accords militaires de la France

La Chine

Face à cette convoitise grandissante autour du potentiel transsaharien, la

Chine tente de « chasser » sur des territoires supposés « hostiles » à la

politique des Etats-Unis, pour construire un positionnement durable dans

la région et un accès libre à ses ressources naturelles et énergétiques.

Cette stratégie est plus visible au Soudan, en raison d’une forte

pénétration des compagnies pétrolières chinoises. Ces compagnies

opèrent également dans l’exploration pétrolière dans d’autres pays de la

région, comme l’Algérie et la Libye. La Chine met d’importants moyens

économiques, militaires et diplomatiques au service de cette stratégie.

2. L’enjeu transsaharien, l’énergie

Les conflits dans la région transsaharienne sont de nature « locale » même si par

moment, ils obéissaient à une dynamique ethnique ou cultuelle transnationale

comme dans le cas des Touaregs. Par contre, la rivalité au Moyen-Orient est

plutôt entre puissances « émergentes » à la recherche d’un leadership régional.

Les convoitises internationales sont similaires pour ces deux régions

d’approvisionnement.

L. CHEGROUCHE 2010

De nombreuses études géopolitiques, stratégiques ou prospectives montrent que

l’Afrique du nord1 et le Golfe de Guinée sont des réservoirs pétrolifères

complémentaires du Moyen-Orient pour l’approvisionnement international. En

plus, la région transsaharienne a cet avantage d'être une façade d'exportation

atlantique et méditerranéenne. Un avantage-coût par rapport au Golfe arabopersique

pour l’approvisionnement des Etats-Unis et de l’Europe. La dépendance

de ces deux marchés suscite des inquiétudes quant à la sécurité de

l'approvisionnement à long terme, d'autant plus que les importations proviennent

d'un petit nombre de fournisseurs du Moyen-Orient mais, aussi de la Russie. Une

dépendance énergétique qui ne cesse de croître et qu'elle a besoin

d'infrastructures de transport à longue distance. La crise du Golfe en 1992 a

révélé cette vulnérabilité énergétique vis-à-vis du Moyen-Orient. Elle est rendue

plus tangible par la crise du Caucase en 2008.

Une dépendance énergétique qui insiste de plus en plus les puissances

internationales et les compagnies pétrolières à peaufiner des stratégies

offensives en matière de diversification des routes et des sources

d’approvisionnement. De ce fait, la région transsaharienne est devenue un enjeu

d’intérêt stratégique, une perspective d’approvisionnement en énergie notamment

pour les Etats-Unis et l’Europe, ce qui ne va pas sans difficulté comme ça était

analysé dans la première partie (voir supra). A la différence de l’Europe qui a

toujours été un puissant acteur dans la région, soit par les projets de ses

compagnies, soit par l’influence des anciennes puissances coloniales, les Etats-

Unis ont cependant une présence toute récente. Ce pays n’a considéré la région

comme « espace vital » dans sa politique étrangère qu’en 1995. La montée en

puissance de son rôle économique et militaire dans la région coïncide avec le

rythme d’accroissement des réserves prouvées (voir tab.1 & 2).

Tab. 1. Les réserves prouvées du pétrole

(Milliards de barils)

1980 1985 1990 1995 2000 2005 2008 % Monde

Algérie 8,2 8,8 9,2 10,0 11,3 12,3 12,4 1,0

Egypte 2,9 3,8 3,5 3,8 3,6 3,7 4,2 0,3

Libye 20,3 21,3 22,8 29,5 36,0 41,5 41,5 3,3

Nigeria 16,7 16,6 17,1 20,8 29,0 36,2 36,5 2,9

Soudan - 0,3 0,3 0,3 0,6 6,4 6,7 0,5

Tunisie 2,2 1,8 1,7 0,4 0,4 0,6 0,6 -

Tchad - - - - 0,9 0,9 0,9 0,1

Afrique 53,4 57,0 58,7 72,0 93,4 117,0 118,0 9,5%

Sources: BP, SH, NNPC, NOC

1 Voir L. Chegrouche, “Quelle prospective de référence pour l’Afrique du Nord ?”, in Revue de l’énergie n°516, 2000.

L. CHEGROUCHE

Tab. 2.

1980 1985

Algérie 3 720 3 350

Egypte 80 26

Libye 690 63

Nigeria 1 160 1 34

Afrique 5 990 6 16

2.1 - Potentiel des réserves

La région transsaharienne dispose de 8% des réserves mondiales

prouvées en pétrole et en gaz. Les réserves prouvées de la région se sont

fortement accrues

pétrole ou celui de

d’exploration sans cesse croissant

été conclus depuis 2005,

commerciales. Si la région maintient ce rythme d’exploration, le potentiel

des réserves en pétrole et gaz est appelé à s’accroitre.

compagnies locales

régulièrement de

enchères. L’enjeu est l’évaluation du potentiel des réserves récupérables.

Fig.5

Les réserves prouvées du gaz naturel

(Gm3)

1990 1995 2000 2005

3 300 3 690 4 520 4 530

260 380 650 1 430 1 900

630 1 210 1 310 1 310 1 320

340 2 840 3 470 4 110 5 150

160 8 550 9 930 12 460 14 070 14

Sources: BP, SH, NNPC, NOC

comme l’illustre le cas de la Libye et du

l’Algérie et du Nigeria pour le gaz, à la suite d’un effort

croissant. En effet, 250 contrats d’exploration ont

dont plusieurs ont permis des découvertes

locales, en particulier Sonatrach, NNPC et NOC, mettent

des dizaines de nouveaux permis d’exploration

5. Potentiel de réserves en Afrique du nord

Source : Chegrouche, in Med Energie

2010

2008 % Monde

4 540 2,5

2 060 1,2

1 500 0,8

5 300 3,0

580 8,2

Nigeria pour le

, En effet, les

s aux

Energie, n°30, 2009

L. CHEGROUCHE 2010

Les réserves de gaz dans les principaux pays de la région (Algérie,

l’Egypte, la Libye, le Nigeria) s'élèvent à 13 400 Gm3 en 2008, ce qui

équivaut à 20 années de consommation pour l'Union européenne. La

durée de vie de ces réserves est de 75 ans. Elle est bien supérieure dans

le cas de la Libye et le Nigeria et inférieur pour l’Egypte et l’Algérie. La

Libye et le Nigéria disposent de l’essentiel des réserves pétrolières : 41,5

milliards de barils pour le premier et 36,5 milliards pour le second.

Pour le gaz naturel, Nigeria détient un tiers des réserves prouvées de la

région. Une partie de ces réserves est actuellement consacrée à des

projets de gaz naturel liquéfié (GNL). Ces projets ne cessent de se

développer du fait d’une demande américaine. De plus, le « projet de

gazoduc de l'Afrique de l'Ouest (PGAO) », signé par le Togo, le Bénin, le

Ghana et le Nigeria, ainsi que le gazoduc destiné à la fourniture de gaz à

la Guinée équatoriale, sont des ouvrages qui visent à approvisionner

l'ensemble de la région de l'Afrique de l'Ouest. Le projet de gazoduc

transsaharien s’ajoute à ce programme d’exportation de gaz naturel. Le

Nigeria a certes les plus importantes réserves de gaz en Afrique mais sa

capacité de production reste encore faible. Une production brute estimée à

70 Gm3. La géographie de ses réserves présente une forte dispersion des

champs et gisements gaziers d’où la nécessité d’un important réseau de

collecte et de traitement. Le Nigeria dispose en effet de 250 champs

pétroliers et gaziers de faible taille en comparaison par exemple avec

l’Algérie où le seul gisement de Hassi R’Mel contenait 3 600 Gm3.

2.2 - Projets de transport

Les projets de transport destinés à évacuer les hydrocarbures de la région

sont prolifiques mais coûteux. Pour l’exportation du pétrole, les projets

d’infrastructures portuaires sont nombreux et ils se concentrent dans le

Golfe de Guinée et en Libye. Pour le gaz naturel, ce sont des terminaux

d’expédition du GNL et des gazoducs transnationaux qui font l’objet de

projet de crédibilisation et d’intention de contractualisation. Quatre projets

d’envergure internationale sont considérés comme crédibles :

o Le Galsi est un projet de gazoduc qui doit relier l’Algérie à l’Italie via

la Sardaigne. Il est inscrit comme « projet d'intérêt prioritaire » par

la Commission européenne. Une autre liaison « Galsci » est

également à l’étude : Algérie-Sardaigne-Italie via la Corse.

o Le Greenstream II est la seconde phase de l’extension ce gazoduc

(voir supra « Libye ») par son rallongement. Il prendrait pour source

les gisements du Niger, du Tchad et du Darfour. Le Greenstream II

introduirait une dynamique compétitive avec le TSGP. Par analogie,

TSGP contre Greenstream en Afrique, Nabucco contre South-

Stream dans le Caucase.

o Le PGAO est un projet de gazoduc qui vise à approvisionner

l'ensemble de la région de l'Afrique de l'Ouest (voir supra).

L. CHEGROUCHE 2010

o Le TSGP (voir infra).

La réalisation de ces projets requiert d’abord un partenariat efficace.

Ensuite, le financement de ces projets ne peut pas être supporté par un

seul pays. Enfin, la sécurisation des tracés est une exigence de durabilité.

2.3 - Trans-Saharan Gas Pipeline

Le TSGP est un projet de gazoduc qui acheminera le gaz naturel vers

l’Europe à partir de la région du Delta du Niger, via le Niger et l'Algérie,

puis par une liaison offshore le long de la Méditerranée, via le système

transport de Medgaz et de Galsi.

Tab.3. Les caractéristiques du Transsaharien

Le projet TSGP

Point de départ Brass (Delta du Niger, Nigeria)

Point d'arrivée

Option 1 - Béni Saf - côte ouest de l'Algérie

Option 2 - El Kala - côte est de l'Algérie

Longueur

4180 Km (arrivée à Béni Saf)

4330 Km (arrivée à El Kala)

Diamètre

48 pouces

56 pouces

Stations de compression

5 pour l'option 48 pouces

18 pour l'option 56 pouces

Capacité

20 Gm3 par an

30 G m3 par an en plein régime

Mise en service 2015 - 2017

Coût 10 milliards de dollars US

Promoteurs Sonatrach

NNPC

Consortium En cours de constitution mais l’accord final

indique une première répartition :

Sonatrach (45%)

NNPC (45%)

Niger (10%)

En 2009, un accord final entre les trois pays traversés par le TSGP précise

que 90% du capital du consortium sont détenus à égalité par NNPC et

L. CHEGROUCHE 2010

Sonatrach, 10% par le Niger. Les trois partenaires pourraient céder une

partie de leur part à un tiers. Cette part est estimée à environ 20%, soit 2

milliards US dollars, à raison de 2 ou 3% pour chaque participation.

o Le projet TSGP sillonnera le Nigeria du sud au nord sur 1300 km.

Des zones marécageuses du Delta du Niger, le TSGP passera à

travers des terres cultivées et des forêts tropicales au nord du

Nigeria. Le tracé nigérian est susceptible d’exacerber des conflits

avec les populations locales qui se trouvent sur les terres cultivées

au nord du Nigeria.

o Au Niger, le pipeline traversera sur 400 km des savanes

caractéristiques des paysages du Sahel. Le Sud constitué de terres

riches exploitées par des populations sédentaires dont la principale

tribu, de culte musulman, domine le pouvoir sans partage depuis

l’indépendance de ce pays. Le Nord aride mais riche en ressources

naturelles dont l’uranium. Les populations autochtones sont les

Touareg. Le Niger dispose de très faibles moyens pour sécuriser

les infrastructures de transport sauf le recours à la coopération

militaire, à l’instar des mines d’uranium.

o Près de 50 % du tracé du TSGP traverseront l’Algérie. D’abord, le

Sahara, puis dans sa phase finale, le pipeline franchira les reliefs

des montagnes de l'Atlas et les zones des hauts plateaux pour

atteindre la côte. Il sera connecté au Medgaz et (ou) Galsi.

L. CHEGROUCHE 2010

Fig.6. L’itinéraire du TSGP

Source : Petroleum Economist

L. CHEGROUCHE 2010

Les enjeux de ce projet selon Sonatrach, NNPC et le bureau d’études

britannique Penspen, sont les suivants :

o Le prix du gaz permettant une rentabilité du projet est de 4,15

$/MBTU.

o Le coût du projet du tuyau est estimé à 10 milliards US $.

o Le coût des infrastructures de collecte au Nigeria est estimé à 3

milliards US $.

En conclusion, l’analyse du jeu transsaharien et ses effets énergétiques révèle que

la rivalité prend souvent la forme de conflits où des puissances s’affrontent sur des

zones pétrolifères, par groupes ethniques ou cultuels interposés, au gré de

colossaux intérêts économiques. La multiplication des conflits comme dans le Delta

de Niger, le Darfour ou l’Azawak est en l’illustration. Les compagnies pétrolières

locales et les pays de la région inscrivent leur action autour et le long des fractures

géopolitiques induites par des rivalités locales et des convoitises internationales.

Dans ce jeu d’acteurs, les puissances internationales n’agissent pas d’une manière

homogène ou collusoire. Toutefois, la stratégie d’acteurs la plus pertinente est celle

des Etats-Unis, parce qu’elle combine toutes les séquences de jeu. La montée en

puissance de son rôle économique et militaire dans la région coïncide avec le rythme

d’accroissement des réserves prouvées. La dépendance énergétique insiste de plus

en plus ces puissances internationales à peaufiner des stratégies offensives en

matière de diversification des routes et des sources d’approvisionnement. De ce fait,

la région transsaharienne est devenue un enjeu d’intérêt stratégique. Le projet TSGP

s’inscrit dans ce contexte de forte rivalité géopolitique et énergétique.....